La course aux prix et records en 1908

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Au début de 1908, la situation se présentait de la façon suivante.

En France, DELAGRANGE allait s’employer à combler le retard qu’il avait par rapport à FARMAN en le suivant à la trace. SANTOS-DUMONT, BLÉRIOT et ESNAULT-PELTERIE construisaient de nouveaux appareils. De PISCHOFF s’efforçait de trouver les moyens matériels qui lui manquaient, pour continuer sa route. Un nouveau groupe allait entrer en lice : la société « Antoinette » dont l’activité s’était limitée jusque-là à la fabrication des moteurs légers avait décidé d’y adjoindre celle des machines volantes.

Au Danemark, ELLEHAMMER, dont les premières tentatives remontaient à 1906, effectuait en février, près de Copenhague, un vol public d’environ 300 mètres. Il vola 15 secondes à Hambourg en juin de cette même année, puis disparut comme pilote.

En Amérique, un groupe s’était constitué, sous les auspices de Graham BELL, inventeur du téléphone, ancien familier de LANGLEY, pour l’étude, la construction et les essais d’aéroplanes. Au mois de mars, une première machine était prête. Ce fut au sein de ce groupe qu’apparut la forte personnalité de G. H. CURTISS.

D’autre part, le « Signal Corps » américain, qui équivalait à peu près à notre génie militaire, venait d’ouvrir une soumission pour l’achat éventuel de machines volantes. Les soumissionnaires devaient indiquer le délai de livraison de leur appareil et son prix puis verser comme caution, en espèce, le dixième de celui-ci. L’aéroplane serait acquis et payé au prix fixé s’il satisfaisait aux deux conditions suivantes : réaliser une vitesse de 40 milles à l’heure, effectuer un vol d’au moins une heure, avec deux personnes à bord. Ces conditions pouvaient apparaître comme prohibitives à l’époque. Il y eut pourtant trois inscriptions réelles dont deux sérieuses : celles des frères WRIGHT et de HERRING. C’était la première manifestation de l’intérêt avec lequel le gouvernement d’une grande nation pouvait considérer l’aviation naissante.

Aucune activité, digne de ce nom, ne se manifestait encore dans les autres pays. Nous allons maintenant entrer un peu dans le détail.

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Delagrange et Armengaud en 1908

Après qu’il eut remporté le prix DEUTSCH-ARCHDEACON, Henry FARMAN accomplissait, deux jours plus tard, le 15 janvier, un nouveau vol en circuit fermé d’environ 1 500 mètres, sur le terrain d’Issy, puis rentrait l’appareil chez VOISIN aux fins de révision. Le 20 janvier, au même endroit, DELAGRANGE effectuait un premier vol d’une centaine de mètres. Après une révision de l’appareil, il reprenait son entraînement le 14 mars et parcourait 300 mètres. Le 15 mars, cinq vols successifs atteignirent ou dépassèrent 500 mètres. Le 17, il gagnait, pour un vol de 269 mètres, officiellement contrôlé, le premier des trois prix, dits des deux cents mètres, offerts par l’Aéro-club de France. Le 20, il accomplissait un vol de 700 mètres en circuit fermé puis, le 21, un second de 1 500 mètres. Enfin, le 10 avril, il parcourait 2 500 mètres et, le lendemain 11 avril, 3 925 mètres en 6 minutes 30 secondes ce qui le rendait recordman du monde pour la distance et pour la durée. Le premier mai, DELAGRANGE s’engageait pour disputer le prix ARMENGAUD de 10 000 francs, créé au début de janvier pour récompenser un vol atteignant au moins un quart d’heure.

Voici ce qui advint le 3 mai.

FARMAN s’était engagé en vue du même prix. Une piste triangulaire fut tracée sur le terrain d’Issy, conformément aux indications des concurrents. C’était l’après-midi. Il faisait beau mais un léger vent soufflait et les aviateurs préférèrent attendre l’accalmie qui se produit souvent en fin de journée. Un peu avant 18 heures, DELAGRANGE essaya son appareil sur une ligne droite. Une heure plus tard, FARMAN se mit en piste. Envolées successives en ligne droite, esquisse de virage avec retour rapide au sol, enfin un tour complet effectué en touchant terre plusieurs fois, telles furent les manifestations de sa décision. Ensuite, il renonçait à toute tentative nouvelle. Un moteur un peu plus puissant que l’ancien, mais toujours un « Antoinette », était installé sur son appareil qui, plus rapide, demandait plus de champ pour virer. Il ne l’avait plus suffisamment en main. DELAGRANGE tenta sa chance vers 19 heures. Après avoir volé une ligne droite et pris un virage, il fut déporté vers des spectateurs, massés près des hangars, alors qu’il ne se trouvait guère qu’à la hauteur de leurs têtes. On put craindre la catastrophe. DELAGRANGE l’évita, de justesse, mais il ne put faire que ses

Départ de Delagrange pour l'Italie
Départ de Delagrange pour l’Italie

roues ne viennent buter, un peu plus loin, dans un obstacle ni que l’extrémité droite de sa cellule n’accroche une voiture. Un atterrissage brutal, au cours duquel le pilote fut violemment projeté hors de l’appareil, termina tout. L’homme n’avait que peu de choses mais l’appareil était malade. Ainsi prit fin cette première tentative accomplie par deux aviateurs opérant vers la même heure sur un même terrain en vue du même prix. À la suite de cela, FARMAN expédiait son appareil en Belgique, à Gand ; DELAGRANGE envoyait le sien en Italie où ils avaient été respectivement sollicités de faire, contre espèces, des démonstrations publiques.

Léon DELAGRANGE, que Gabriel VOISIN avait accompagné, connut d’abord, à Rome, quelques difficultés un peu spéciales. Le 24 mai, il procéda, sur la place d’Armes, à ses premières expériences. Une foule énorme était accourue qui, sans aucun doute avait payé le droit d’être là. Il est bien évident que le premier résultat recherché par les organisateurs de ces manifestations était d’en tirer un profit. La publicité qui fut faite, à leur occasion, eut certainement beaucoup plus pour objet d’amener au lieu dit le plus grand nombre possible de spectateurs que de les informer, avec exactitude, sur la nature du spectacle auquel ils étaient conviés.

Un vent assez vif soufflait par rafales. DELAGRANGE n’en vola pas moins. Il parcourut, à plusieurs reprises, quelques centaines de mètres en ligne droite, à un mètre du sol, puis un kilomètre et demi, avec un virage, toujours à faible hauteur ; et il s’en tint là. C’était bien. Le public escomptait tout autre chose et se fâcha. D’assez sérieuses bagarres se produisirent que le service d’ordre eut de la peine à contenir. De tels incidents, ayant pour origine avec l’ignorance des foules leur exploitation maladroite et calculée, se produisirent, de temps à autre et un peu partout, pendant les années qui suivirent, pour des raisons analogues.

Cet orage fut d’ailleurs vite calmé et DELAGRANGE devint bientôt populaire en Italie. Les 26, 27 et 28 mai, il parcourait des distances allant de 2 kilomètres jusqu’à 7 ou 8 et tenait l’air, une fois, durant 9 min 30 s. Le 30 mai, il effectuait neuf fois le tour de la Place d’Armes et restait 15 min 25 s au-dessus du sol en parcourant 12,750 km. Il se transportait ensuite à Milan puis à Turin où il vola, respectivement, du 14 au 23 juin et du 27 juin au 10 juillet. À Milan, il parcourut plus de 14 km en 18 min 30 s. Rentré en France, il y reprit ses vols le 3 septembre. Mais quand il revint, les 10 000 F du prix ARMENGAUD avaient trouvé preneur en la personne de Henry FARMAN, comme nous allons l’exposer.

Bien qu’il n’y ait pas accompli de performances comparables à celles de son rival, en distance et en durée, Henry FARMAN n’en obtint pas moins, en Belgique, un succès considérable. La plaine qui servait d’aérodrome, située au voisinage immédiat de Gand, fut assiégée par des spectateurs venant de tous les coins du territoire durant la semaine du 26 mai au 2 juin au cours de laquelle se poursuivirent, chaque jour, les expériences. Une carte d’abonnement donnait droit à une entrée journalière sur le terrain pour cinq francs.

Le plus long vol accompli par FARMAN ne dépassa pas 1 500 mètres mais, les 29 et 30 mai, il réalisait, pour la première fois en Europe, des vols publics avec un passager. Ce dernier n’était autre que Ernest ARCHDEACON venu à Gand pour la circonstance. Le 29 mai, FARMAN n’effectuait avec lui, par deux fois, que des vols assez courts mais, le 30, il parcourait 1,240 km avec, à ses côtés, celui qui s’était fait, depuis plusieurs années, le propagandiste le plus ardent et le plus désintéressé de l’aviation.

Farman en hauteur
Farman en hauteur

À la fin de cette journée, Henry FARMAN s’élevait, seul à bord, jusqu’à 12 mètres au-dessus du sol, surplombant des ballonnets captifs deux mètres plus bas. Les performances des premiers pilotes s’accroissaient dans tous les sens. La dernière citée n’était pas la moins importante. On eut beaucoup de peine, au début, à gagner normalement une certaine altitude ; appareils tanguant, appréhension, difficulté qu’il y avait à passer du contrôle par rapport à l’horizon.

Rentré en France, FARMAN se trouva prêt, le 6 juillet, pour essayer de battre le record de durée établi par DELAGRANGE et de gagner le prix ARMENGAUD. Un concurrent s’annonçait menaçant : c’était BLÉRIOT. Il fallait se hâter. Notre pilote n’y manqua point d’autant plus qu’il devait s’embarquer pour l’Amérique, dans la deuxième quinzaine du même mois, afin d’y remplir un contrat d’exhibitions qu’il ne put d’ailleurs exécuter, quoique sur place, en raison de l’opposition victorieuse qu’y firent les WRIGHT arguant des droits que leur conféraient leurs brevets. FARMAN dut rentrer en France en septembre, bredouille, si j’ose dire, en tout cas furieux et déçu. Avant de partir, il avait accompli ce nouvel exploit de voler durant 20 min 20 s sur le terrain difficile d’Issy-les-Moulineaux, en faisant onze fois le tour.

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Gastambide-Mengin avec Welferinger

Les dirigeants de la société « Antoinette » s’étaient refusé, jusqu’à la fin de 1907, à envisager la fabrication de machines volantes, comme le demandaient FERBER et LEVAVASSEUR. Constructeurs de moteurs d’aviation, ils ne voulaient pas faire figure de concurrents pour leurs clients. Ils avaient décidé, avec commencement d’exécution, de s’orienter vers l’automobile. Et puis leur politique changea : précautionneusement d’abord. LEVAVASSEUR fut autorisé à étudier un premier appareil qui porterait le nom de deux des administrateurs de la firme, ce qui ne trompait d’ailleurs personne, ainsi qu’à mettre en fabrication une réplique de l’aéroplane FERBER n° 8 détruit, comme l’on sait, à Chalais-Meudon en 1906, sans avoir pu faire ses preuves. Ce fut ainsi que le GASTAMBIDE-MENGIN apparut, en février 1908, sur le champ de manœuvres d’Issy. Son pilotage fut confié, successivement, à deux salariés de l’usine. BOYER, au début, effectua à son bord quelques vols, plus ou moins heureux, en ligne droite, puis WELFERINGER le prit en main et poursuivit ses essais jusqu’en août date à laquelle l’appareil fut réformé. Il avait rempli son rôle ; à ce moment-là, le premier des monoplans « Antoinette », qui devaient acquérir l’année suivante une célébrité mondiale, était en chantier. Pour la dernière sortie de son appareil, le 21 août, WELFERINGER tint l’air durant 1 min 36 s en parcourant, à 7 ou 8 mètres de hauteur, un circuit fermé comportant un deuxième cercle intérieur de diamètre assez réduit. La veille, il avait emmené deux fois à son bord M. GASTAMBIDE pour des vols d’une centaine de mètres.

Cependant, la société « Antoinette » construisait, d’après les plans datant de 1905, l’aéroplane n° 8 de FERBER. Il put voler, à Issy, après une très courte mise au point, sous la conduite de FERBER lui-même pour qui ces vols n’eurent, les 22 et 25 juillet, qu’une valeur de démonstration. L’appareil disparut bientôt mais non sans avoir servi aux débuts de l’un des plus grands pilotes de la période d’avant 1914, Georges LEGAGNEUX. Mécanicien à la société, il s’était vu confier la conduite de son biplan. Il le fit voler à plusieurs reprises. En particulier, il parcourut, le 19 août, sur le terrain d’Issy, 256 mètres officiellement contrôlés ce qui l’aurait rendu titulaire du troisième prix des 200 mètres de l’Aéro-club de France (BLÉRIOT, comme nous le verrons, s’était adjugé le second) s’il n’avait contrevenu à certaines dispositions du règlement.

Chez Robert ESNAULT-PELTERIE, on avait construit un nouvel appareil. La campagne d’essais de 1907 avait pu démontrer la nécessité d’allonger le premier modèle, de donner plus d’importance à la quille ou dérive verticale et de le munir d’un gouvernail de direction du type classique. Telles étaient du moins les conclusions de REP. Il désirait aussi monter la roue centrale de départ et d’atterrissage sur frein oléopneumatique. Au début de mai, nous procédions au montage dans le hangar de Buc et les essais ne tardèrent pas à commencer.

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Rep 2 avec Esnault Pelterie

La mise au point fut poursuivie d’une façon satisfaisante pendant un mois, agrémentée de quelques courtes envolées. Le 8 juin, elle s’avérait réalisée. Ce jour-là, au début de l’après-midi Robert ESNAULT-PELTERIE accomplissait un parcours aérien de 800 mètres, avec un changement de direction de 90 degrés, à 4 ou 5 mètres au-dessus du sol, dans d’excellentes conditions de stabilité. L’atterrissage fut parfait. Pourquoi ne dirais-je pas que nous exultions ? Il y avait là quelques unités du personnel de l’usine, deux ou trois amis de REP, Henry KAPFERER et Louis PAULHAN. De grands espoirs s’ouvraient devant nous. Je conseillai de ramener l’aéroplane à la remorque jusqu’au hangar et de souffler un peu avant de recommencer l’épreuve. REP promit de ne pas voler mais voulut rentrer en roulant. Il partit et, très vite, il décolla. Alors s’accomplit, rapide, un vol en montagnes russes au cours duquel nous vîmes le monoplan prendre de la hauteur par échelons successifs. Il atteignit une quinzaine de mètres, vingt peut-être, ce qui nous paraissait considérable, puis piqua vers le sol. L’appareil n’était pas endommagé. Le pilote accusait une forte commotion ; il avait une légère luxation de l’épaule ; il était fortement impressionné.

Il fut donné, de ce vol, des versions fantaisistes. La seule inexpérience du pilote était en cause. Je n’irai pas jusqu’à dire que Robert ESNAULT-PELTERIE était tombé dans l’erreur qu’avaient commise ADER et LANGLEY, mais il n’était pas éloigné de croire que, l’appareil étant « scientifiquement établi », le conduire était peu de chose. Il ne s’était pas suffisamment imprégné de l’enseignement qu’avait si bien donné FERBER et que FARMAN avait su suivre à la lettre.

Très vite, les dégâts furent réparés et l’oiseau prêt à reprendre le départ. Après une brève tentative, Robert ESNAULT-PELTERIE renonçait à voler, sinon officiellement du moins en fait, de façon définitive. Ce fut ainsi qu’en ce mois de juin 1908 je pus faire mes débuts comme pilote. Ils furent vite interrompus. REP décidait de modifier à nouveau l’appareil et ce fut seulement en octobre que je pus me remettre à l’entraînement.

Blériot à Issy les Moulineaux
Blériot à Issy les Moulineaux

BLÉRIOT réapparut au début de juin, sur le champ de manœuvres d’Issy, avec un nouveau monoplan portant le n° 8. Il avait consacré cinq mois à son étude et à sa construction ; je crois que SAULNIER y collabora. Cet appareil subit toute une série de modifications de détails, puis fut reconstruit deux fois sous les désignations 8 bis et 8 ter. Il servit d’acheminement, sous toutes ses formes, vers le modèle n° 11 avec lequel BLÉRIOT devait traverser la Manche, un an plus tard, et qui resta pendant assez longtemps le type populaire et le spécimen le plus réussi de ses productions.

Ce fut sur ce n° 8 que BLÉRIOT effectua ses premiers virages et ses premiers vols en circuit d’une durée notable qui le classèrent immédiatement après FARMAN et DELAGRANGE ou, pour mieux dire, à leurs côtés. Du 19 au 29 juin, il avait réussi toute une série de vols en ligne droite allant de cinq à sept cents mètres c’est-à-dire couvrant tout l’espace dont il disposait sur le terrain. Le dernier lui avait valu le deuxième prix « des deux cents mètres » de l’Aéro-club de France. Le 2 juillet, il commençait à virer. Le lendemain, il volait en circuit pendant 2 min 45 s. Le surlendemain, il parcourait 3 km puis tenait l’air durant 3 min 4 s ce sur quoi il s’inscrivait pour disputer, le 6, le prix ARMENGAUD pour un quart d’heure de vol.

Comme le 3 mai, l’on vit encore, sur le terrain d’Issy-les-Moulineaux, deux aviateurs se présenter le même jour pour disputer le même prix. C’était, cette fois, avec deux aéroplanes très différents l’un de l’autre. BLÉRIOT tenta sa chance le premier, vers le milieu de l’après-midi, malgré le vent qui courait à 20 km à l’heure. Un groupe d’ingénieurs anglais, conduits par le comte de La VAULX, se trouvait sur le champ de manœuvres. Une première fois, BLÉRIOT tint l’air 3 min 9 s. Il entamait, bientôt après, un nouveau vol interrompu au bout de 8 min 24 s, pour un accroc, fut-il dit, dans l’alimentation du moteur en essence. Il ne put renouveler sa tentative le même jour et, peu de temps avant le crépuscule, alors que le vent avait cessé de souffler, FARMAN s’adjugeait le prix en volant plus de 20 minutes. Il restait de cet évènement que la compétition semblait maintenant sérieusement ouverte entre les biplans à hélices propulsives, à faibles charges unitaires (10 kg au mètre carré), et les monoplans à hélices tractives dont la charge au mètre carré dépassait déjà 20 kg. Elle dura longtemps. Il était pourtant certain que, tous autres facteurs comparables, la palme irait à ceux-ci en ce qui concernait la vitesse. Et la vitesse devait, inéluctablement, devenir le critérium du progrès.

Une grande revue américaine, « SCIENTIFIC AMERICAN », avait offert, en 1907, aux États-Unis, une Coupe destinée à celui qui, le 14 septembre, effectuerait, le premier, un vol de un kilomètre en ligne droite. Aucun concurrent ne se présenta ; les frères WRIGHT, qui auraient pu enlever ce trophée, avaient des visées plus hautes. Les donateurs décidèrent d’instituer un challenge annuel de distance dont leur Coupe serait l’enjeu. La date du vol à effectuer devenait libre. Chaque concurrent devait être régulièrement inscrit, au préalable, et son vol contrôlé par une Commission désignée à cet effet. La première attribution serait faite pour un vol dépassant un kilomètre. Elle ne le fut, comme nous allons le voir, que le 4 juillet 1908.

Vers la fin de 1907, un groupement s’était constitué dans le but d’effectuer des recherches expérimentales en matière d’aviation. Il prit le nom de « Aerial Experiments Association ». Il y avait là, autour de Graham BELL, physicien célèbre pour ses travaux sur le téléphone et qui avait suivi de près les essais de LANGLEY, des hommes comme HERRING, ancien assistant de CHANUTE, le lieutenant SELFRIDGE, CURTISS, fabricant de moteurs ; d’autres encore ; enfin, une équipe. Elle devait se désagréger, dès après les premiers résultats sérieux obtenus, parce que les conditions sociales d’existence ne permettaient guère qu’elle se perpétuât. Elle accomplit pourtant, rapidement, une excellente besogne et démontra combien ses initiateurs avaient vu juste en pratiquant, en cette circonstance, le travail collectif.

Curtiss
Curtiss

Mis en chantier au début de janvier, un premier appareil fut prêt dès le 9 mars. Ses auteurs l’avaient baptisé « Red Wing ». Monté sur patins en bois, il utilisa, comme piste, la surface d’un lac gelé. Du 9 au 12 mars, aucun vol ne fut obtenu. Ce dernier jour l’aéroplane, monté par BALDWIN, tint l’air sur un peu moins de 100 mètres, à 4 ou 5 mètres de hauteur. Il fut sérieusement endommagé à l’atterrissage et sa carrière se termina là. Deux mois après, un appareil de la même famille se trouvait prêt à évoluer mais, cette fois, sur la terre ferme. La soie blanche avait remplacé la soie rouge et « White Wing » était son nom. Les revues de l’époque en ont relaté cinq envolées. Aucune des trois premières, réalisées les 18 et 19 mai par BALDWIN, n’atteignit 100 mètres et l’aéroplane subit quelques dommages. Le 22 mai, CURTISS effectuait à son bord son premier vol, parcourait environ 300 mètres au voisinage du sol. Le 23 mai, MAC CURDY pilotait. Il effectuait un parcours aérien de 150 à 200 mètres et culbutait à l’atterrissage. Il s’en tirait sans dommage mais l’appareil était détruit.

L’équipe construisit un troisième aéroplane, à peu près semblable au précédent, qu’elle baptisa « June Bug ». Il fut prêt pour tenter de conquérir, à Hamondsport, le 4 juillet, la Coupe du « SCIENTIFIC AMERICAN ». CURTISS le pilota en cette occasion et réussit dans sa tentative. Après un essai, exécuté le soir par temps complètement calme, CURTISS volait, une deuxième fois, durant 1 min 42 s en parcourant plus de 1 600 mètres entre 5 et 6 mètres de hauteur. Antérieurement, pour sa mise au point et pour l’apprentissage du pilote, l’appareil avait effectué une douzaine de vols plus courts. Le 5 juillet, CURTISS, reprenant place à son bord, réalisait, en 1 min 15 s son premier parcours aérien en circuit fermé d’un développement d’environ 1 300 mètres. L’atterrissage fut mauvais et le « June Bug » très sérieusement endommagé.

En rendant compte de ces résultats, le « SCIENTIFIC AMERICAN » publia les renseignements suivants. L’appareil pesait 295 kg, en ordre de vol, pour une surface portante de 33 mètres carrés. Le moteur donnait 25 CV à 1 200 tours. Le poids enlevé par cheval était donc de 11,800 kg et la charge par mètre carré 8,700 kg. La vitesse aurait atteint 61 km/heure.

CURTISS était un ancien coureur motocycliste devenu constructeur de moteurs. Après que HERRING, l’ex-assistant de CHANUTE, eut échoué dans la tentative qu’il entreprit de satisfaire aux conditions d’achat d’un aéroplane par le « Signal Corps » américain (il essaya l’appareil qu’il y destinait le 28 octobre 1908 et le brisa au terme d’un vol de 100 mètres) CURTISS et lui s’associèrent. Ce fut de cette association que naquit le biplan avec lequel CURTISS remporta l’année suivante, à Bétheny, près de Reims, de justesse sur BLÉRIOT, la première Coupe GORDON BENNETT qui resta, durant de longues années, l’épreuve classique de vitesse en aviation. Des autres participants aux débuts de l’« Aerial Experiments Association », le lieutenant SELFRIDGE périt accidentellement comme nous le verrons plus loin, BALDWIN et MAC CURDY remportèrent, comme pilotes, quelques succès notables les années suivantes, Graham BELL ne réussit pas à faire voler un aéroplane assez curieux qu’il avait construit. >> Suite

Octobre 1968 Edouard Chateau