De Otto Lilienthal à Octave Chanute

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Otto Lilienthal

Bien qu’il ait publié, en 1889, un livre remarquable rendant compte d’expériences précises, de constatations et de mesures intéressantes, exposant des idées neuves sur la possibilité du vol humain, bien qu’il ait, pendant cinq années, effectué plus de deux mille vols planés avec différents modèles d’appareils et démontré, par le fait, la possibilité du vol à voile, bien qu’il ait écrit un assez grand nombre d’articles dans des revues allemandes de l’époque, LILIENTHAL ne suscita, sa vie durant, aucun enthousiasme collectif, aucun intérêt véritable. Généralement, on le considérait comme un acrobate ou comme un parachutiste. L’opinion, même dans les milieux les plus avertis, n’était pas mûre pour accueillir les comptes-rendus de telles expériences en pressentant les perspectives qu’elles ouvraient sur l’avenir.

On ne connaît que deux hommes qui, ayant compris l’enseignement de LILIENTHAL durant sa vie, le suivirent. Ce furent l’Anglais PILCHER et l’Américain CHANUTE. D’autres, l’ayant découvert dans les livres, peu de temps après sa mort, jouèrent les tout premiers rôles dans la naissance de l’aviation dont ils furent les véritables accoucheurs ; je veux dire Orville et Wilbur WRIGHT, et puis aussi notre FERBER.

Otto LILIENTHAL naquit en Poméranie le 24 mai 1848. Il fut ingénieur. Il avait un frère qui, dans sa jeunesse, fut associé, un certain temps, à ses travaux et à ses recherches. Il étudia les oiseaux. Il fit de nombreux essais sur des surfaces, ou voilures, en utilisant un manège. Il rendit compte des résultats qu’il avait obtenus, des idées qu’il avait acquises et des conclusions qu’il en avait déduites dans un livre qui parut à Berlin, en 1889, chez Gärtner, Schönebergerstrasse, 26, sous le titre « Der Vogelflug als Grundlage der Fliegekunst ».

Il comporte de nombreuses gravures et, tout à la fin, huit tableaux avec diagrammes ayant trait à diverses mesures de la résistance de l’air par rapport à différents types de surfaces et aux battements, ascendant et descendant, d’une cigogne de 4 kg. L’ouvrage compte 42 chapitres, y compris l’introduction et la conclusion. Dans le quarante et unième, LILIENTHAL, résumant les développements précédents de son ouvrage, exposait en trente points, d’un inégal intérêt, les conditions dans lesquelles le vol humain lui semblait possible et celles que devraient remplir « des appareils qui puissent permettre à l’homme le vol libre ».

Il notait d’abord que « la construction d’appareils utilisables n’est pas entièrement subordonnée à la création de moteurs puissants et légers ». Il estimait que, dans un vent supérieur à 10 mètres/seconde, « le vol à voile de l’homme, au moyen de surfaces portantes, est exécutable, pour de grandes ailes et pour le vol horizontal, 8 à 10 kg par mètre carré ». Il déclarait pouvoir fabriquer des appareils, en brins d’osier avec entoilage, capables de porter un homme, pour un poids de 15 kg correspondant à une surface de 10 mètres carrés.

« Un homme avec un tel appareil au poids total d’environ 90 kg, posséderait, par kg, 1/9 de mètre carré de surface plane de vol ce qui est en rapport avec la surface plane de vol d’assez grands oiseaux. »

Il faudrait déterminer, par des essais, le meilleur rapport entre la largeur des ailes et leur envergure. Il envisageait d’avoir à choisir, pour les 10 mètres carrés de surface portante considérés soit 8 mètres d’envergure pour une largeur de 1 mètre 60 vers l’axe, celle-ci allant en diminuant vers les extrémités, soit 11 mètres d’envergure et 1 mètre 40 de largeur maximum. Les ailes doivent être creuses vers le bas et avoir, en coupe, un profil parabolique, plus courbé vers l’avant, plus étendu vers l’arrière.

« La hauteur de la flèche du profil doit mesurer, en proportion des ailes d’oiseaux, environ 1/12 de la largeur d’aile » mais « par des tentatives on pourrait établir si, pour d’assez grandes surfaces d’ailes, des courbures plus faibles ou plus fortes sont plus avantageuses ». C’est seulement lorsqu’on pourra utiliser l’air et le vent au moyen de surfaces appropriées, grâce à une connaissance personnelle et à une grande habitude de ces éléments, que l’on pourra penser à un vol réellement libre ».

Ainsi, à cette époque, la position de LILIENTHAL était à peu près la suivante. Il avait abordé, dès sa jeunesse, l’étude du problème du vol humain. Il avait considéré avec attention les oiseaux et su différencier leurs moyens de sustentation. Comme LE BRIS, MOUILLARD et d’autres observateurs, il s’était rendu compte de ce que le vol à voile n’exige aucun apport d’énergie en dehors de celle, insignifiante, nécessitée par les gouvernes. Il avait pesé, mensuré de gros oiseaux et s’était livré, d’autre part, à toute une série d’expériences et de mesures méthodiques sur des surfaces animées artificiellement de vitesse par rapport à l’air calme ou sur les mêmes surfaces placées dans le vent. Il avait tiré de tout cela, en 1889, à 41 ans, déductions et conclusions. Il pensait que le vol à voile était possible pour une vitesse suffisante du vent et que si le vol humain ne l’était pas, par temps calme, avec la seule mise en œuvre de la force musculaire il devait le devenir avec l’appoint d’un vent léger ; et il songeait à pratiquer le vol ramé.

Mais ce qu’il avait surtout compris c’était que, en étant arrivé là, il était nécessaire de passer à l’expérience, à l’échelle du vol de l’homme, pour acquérir progressivement une connaissance directe et suffisante du milieu à conquérir et des moyens de s’y maintenir. Il fallait expérimenter et répéter l’expérience, entreprendre, avec les moyens les plus simples et les plus sûrs, un véritable apprentissage de tenue dans l’air qui devait conduire au succès final.

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Lilienthal sur son planeur

LILIENTHAL décida d’entrer personnellement dans cette voie. Il se rendit compte alors qu’il lui fallait, pour se maintenir en l’air pendant un temps appréciable au voisinage du sol, partir d’une hauteur et utiliser un vent ascendant. Il fit construire, dans une plaine sablonneuse, non loin de Berlin, une colline artificielle d’une vingtaine de mètres de hauteur du sommet de laquelle il put, dès 1891, s’essayer à prendre son essor et y réussir en s’orientant face au vent régnant et en se lançant contre lui. Il utilisait à cette époque, et il utilisa jusqu’en 1895, des planeurs monoplans munis d’une queue et pesant une vingtaine de kilos. L’équilibre fut toujours assuré par les seuls déplacements du corps qui pendait, depuis les aisselles, en dessous de la surface.

LILIENTHAL était devenu assez rapidement expert dans la conduite de ses appareils et la longueur des glissades aériennes qu’il accomplissait ne cessa de croître jusqu’à dépasser la centaine de mètres. D’autre part, il était arrivé à accomplir certaines manœuvres comme de reprendre de la hauteur en fin de parcours, avant d’atterrir, ou à gagner, par vent convenable, une altitude plus élevée que celle de son point de départ. Il construisit, en 1895, un planeur biplan avec lequel il continua ses vols. Ce fut en pilotant ce dernier modèle, un jour de bourrasque, qu’il se blessa mortellement. Il fit une chute d’une dizaine de mètres. C’était le 9 août 1896. Il mourut le lendemain.

Otto LILIENTHAL avait démontré que, certaines conditions de surface, de poids et de vitesse par rapport à l’air étant réalisées, un planeur portant un homme pouvait quitter le sol, se maintenir dans l’atmosphère et, dans une certaine mesure, y évoluer. Cette démonstration, il l’avait accomplie non point comme une chose hasardeuse et exceptionnelle, mais des centaines et des centaines de fois, cinq années durant, grâce à la méthode expérimentale qu’il avait inaugurée et dont on peut dire, malgré l’accident qui lui survint, qu’elle offrait une grande sécurité. Bien que l’époque s’y prêtât peu, son enseignement porta ses fruits.

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Percy Pilcher

De Percy PILCHER, nous avons peu de choses à dire. Anglais, élève de LILIENTHAL, il construisit plusieurs types de planeurs inspirés par ceux du maître. En 1895, après une visite faite à ce dernier, il essaya son premier modèle à Glasgow. Durant les années qui suivirent, il parvint à planer pendant une vingtaine de secondes puis à réussir des glissades atteignant 250 mètres. Il utilisa différents procédés de lancement dont la traction par un cheval. Pendant quatre ans, il ne fut victime d’aucun accident notable. Le premier qui lui survint lui coûta la vie. Le 30 septembre 1899, voulant être agréable à plusieurs personnes qui étaient venues de fort loin pour le voir, il fit deux essais par un temps de bourrasques pluvieuses. Au second, la queue parut se briser et PILCHER, déséquilibré, fut précipité sur le sol. Il mourut le surlendemain, sans avoir repris connaissance.

Ce que nous avons dit se rapportant à LILIENTHAL au sujet de son isolement, reste valable pour PILCHER. Au moment de sa mort, l’apparition du moteur à explosions sur l’automobile offrait des possibilités nouvelles. Il étudiait, en 1898, la réalisation d’un moteur convenable pour son cinquième planeur et il avait réussi à constituer une société pour la fabrication d’appareils d’aviation. En effet, ses efforts avortèrent dans son pays puisqu’il fallut attendre jusqu’en 1908 pour qu’un aéroplane volât en Angleterre, réalisé par CODY, et qu’on ne peut établir aucune filiation directe entre PILCHER et ce dernier. Il en alla tout autrement de ce qu’accomplit CHANUTE, en Amérique, en 1896 et dans les années qui suivirent.

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Octave Chanute

Octave CHANUTE naquit à Paris en 1832. Alors qu’il avait six ans, son père, professeur, partit enseigner en Louisiane puis se fixa à New York, quand il en eut quatorze, et ce fut dans la capitale que le jeune homme acheva ses études. Il acquit rapidement une grande notoriété. En 1866, il occupait un poste d’ingénieur en chef et présidait à l’édification du premier grand pont sur le Missouri. Il mit à son actif l’accomplissement de nombreux grands travaux et devint, aux États-Unis, un personnage considérable, riche et chargé d’honneurs. Son nom fut donné à deux cités, au Kansas et au Tennessee.

Il s’intéressa à la locomotion aérienne vers sa quarantième année c’est-à-dire dans cette période, déjà marquée par d’assez nombreux projets, par l’existence d’une littérature spécialisée et d’une propagande de plus en plus abondante, qui s’étendit de 1870 à 1880. Mais CHANUTE, encore absorbé par ses tâches professionnelles, attendit l’approche de sa soixantième année pour consacrer une bonne partie de son activité à l’aviation.

Il commença par étudier tous les efforts accomplis dans ce domaine depuis les temps les plus lointains. Nous avons dit comment, ayant participé, pour se documenter, à un congrès international d’aéronautique qui se tint à Paris, en 1889, il y rencontra Albert BAZIN qui, ayant visité MOUILLARD au Caire, l’entretint de ce dernier et de son ouvrage « l’Empire de l’Air ». De retour en Amérique, CHANUTE fit des conférences, entra en relations épistolaires avec MOUILLARD et continua de travailler au livre qu’il préparait. Celui-ci, « Progress in flying machines », parut en 1894, à New York, chez Forney, 39 Cortland St. C’était sans doute, à ce moment, le meilleur travail historique sur la question.

CHANUTE connut LILIENTHAL. Rapidement convaincu que ce dernier avait conçu et instauré la méthode rationnelle d’expérimentation la plus propre à l’obtention de résultats positifs, il décida de l’imiter.

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Le planeur de Chanute 1896

En 1896, installé dans des dunes de sable du lac Michigan, à une cinquantaine de kilomètres de Chicago, il essaya et fit surtout essayer par ses assistants, HERRING et AVERY, des appareils conçus d’abord sur les données de LILIENTHAL. Il avait 64 ans. Il orienta ses recherches vers l’obtention de l’équilibre automatique de ses planeurs. N’aboutissant pas, il en vint à la réalisation d’un modèle composé essentiellement de deux surfaces superposées dont l’écartement était à peu près égal à la largeur et dont l’envergure valait cinq à six fois cette dernière. L’opérateur était suspendu sous la surface inférieure, comme l’était LILIENTHAL ; il manoeuvrait comme celui-ci. La partie maîtresse de l’ensemble, la cellule, ressemblait beaucoup, comme le fit remarquer plus tard FERBER, à un cerf-volant HARGRAVE marchant par le grand côté.

Lawrence HARGRAVE (1850-1915) était un ingénieur australien de Sydney. Il est surtout connu par son modèle de cerf-volant cellulaire, d’une grande stabilité propre, dont, après CHANUTE, Gabriel VOISIN devait s’inspirer.

Plusieurs centaines de glissades aériennes furent réussies sans qu’un seul incident se produisît. Leur longueur atteignait et dépassait parfois cent mètres pour un angle de chute de dix pour cent. CHANUTE relata ses expériences en 1897, sous le titre « Gliding experiments », dans le « Journal Western Society of Engineers ». Il adressa ces documents à plusieurs journaux français qui ne les publièrent pas.

Son activité personnelle n’alla pas, dans le domaine pratique, au-delà de ces expériences. Mais, à partir de 1901, il encouragea et conseilla directement les frères WRIGHT aux essais desquels il fut convié et, à partir de 1902, FERBER. Il vint en France, en 1903. Il y fit connaître, en une conférence à l’Aéro-club, dont la revue du mois de mars en publiait l’essentiel et la même revue donnait, en août, un article de CHANUTE sur ses propres travaux. Il continua d’écrire sur l’aviation. Il revint en France en 1910. Il mourut en 1913.

CHANUTE eut la satisfaction de voir évoluer ces machines volantes à l’apparition desquelles il avait cru mais qu’il ne voyait probablement pas si proche au début de ce siècle où il ne consentait à conseiller les WRIGHT que parce que ceux-ci ne considéraient alors l’aviation que comme un sport et n’émettaient pas la prétention de récupérer l’argent qu’ils dépensaient à son sujet.

On peut apprécier son rôle de la façon suivante. Il eut la foi mais l’âge qu’il avait atteint quand il aborda les essais modéra son enthousiasme. Ayant acquis une notion juste du problème à résoudre, il exerça, en raison de son autorité, une influence de première grandeur. Répétant, sur le sol américain, les expériences de LILIENTHAL et, dans une certaine mesure, les développant au moment même où volait le modèle réduit de LANGLEY, il fournit une base solide, voisine et contrôlable, au choix judicieux que firent les WRIGHT quant à la méthode à employer. Il fit bénéficier ces derniers de ses connaissances et de l’expérience qu’il avait acquise comme il le fit, un peu plus tard, mais moins complètement, pour FERBER dont il se trouvait éloigné. On doit le considérer comme l’un des hommes qui eurent une action déterminante sur la naissance de l’aviation. >> Suite

Octobre 1968 Edouard Chateau