Ce furent « la traversée de la Manche » et « la Grande semaine de Champagne » qui marquèrent plus particulièrement de leur sceau, en juillet et en août, l’année 1909 qui vit aussi naître et se développer les écoles de pilotage dont je ne puis résister au désir de dire quelques mots.
Nées de la nécessité où se trouvèrent les constructeurs d’apprendre à leurs acquéreurs le maniement de leurs appareils, elles connurent un vif succès et leur clientèle se recruta très vite sur une base beaucoup plus étendue que celle des acheteurs d’aéroplanes. J’ai dirigé moi-même, après Maurice COLLIEX, l’école VOISIN de Mourmelon, de septembre 1909 à février 1910, et je ne pense pas sans émotion à cette époque où nos hangars étaient flanqués de ceux de Henry FARMAN, qui enseignait lui-même ses élèves, et de ceux de la société « Antoinette » dont LATHAM était le professeur ; où notre état de concurrents se trouvait surclassé par notre mode commun d’existence qui se prolongeait jusqu’à l’hôtel où nous habitions ; où nous partagions, FARMAN, COLLIEX et moi les trois prix qu’avait fondés la Ligue nationale aérienne pour la formation de pilotes ; où nous donnions le meilleur de nous-mêmes pour une cause qui nous était chère ; où nous vivions, enfin. Qu’on excuse cette digression parmi mes souvenirs les plus vivaces.
Au mois de janvier 1909, Wilbur WRIGHT avait quitté Le Mans pour Pau où Orville, convalescent, était venu le rejoindre. Installé dans les landes du Pont-Long, il y poursuivait, avec la fabrication d’un appareil neuf, l’apprentissage des trois pilotes qu’il devait former, entouré d’une grande affluence de visiteurs parmi lesquels figurèrent les rois d’Angleterre et d’Espagne. Son contrat liquidé, il partit pour Rome où, ses vols achevés, il laissa, à son départ, un nouveau pilote, le lieutenant de vaisseau CALDERARA. En mai, les deux WRIGHT rentrèrent en Amérique. Ils y furent fêtés et reçus, à Washington, par le président des États-Unis qui leur remit à chacun une médaille d’or à leurs effigies attestant, à leur égard, la reconnaissance nationale. Au mois de juillet, ils reprirent leurs essais en vue de la livraison d’une machine au gouvernement américain. Ce résultat fut rapidement acquis après les vols exécutés par Orville dont l’un de 1 heure 12 minutes avec un passager. À la suite Orville revint en Europe où il effectuait en septembre, à Berlin, toute une série de vols en même temps qu’il formait un pilote, le capitaine ENGELHARDT. Vers la fin du même mois, Wilbur évoluait au-dessus de la rade de New York puis parcourait 35 km autour des navires de guerre ancrés dans l’Hudson. Ensuite, on n’entendit plus beaucoup parler des deux frères en tant que pilotes. Wilbur mourut d’une typhoïde, en 1912.
Leurs élèves français, De LAMBERT et TISSANDIER, accomplirent de nombreux vols pendant les premiers mois de l’année. Le 20 mai, au Pont-Long, le dernier nommé établissait de nouveaux records français de distance et de durée (57,500 km en 1 h 2 min) qui marquèrent le terme de leur provisoire suprématie.
Parmi les autres aviateurs opérant au cours des sept premiers mois de 1909, quatre attiraient particulièrement l’attention : Hubert LATHAM, Louis BLÉRIOT, Henry FARMAN et Louis PAULHAN.
LATHAM fut pour LEVAVASSEUR, animateur de la société « Antoinette », l’homme complémentaire dont il avait besoin. Jeune – né en 1883 – , riche, ayant le goût du risque, nanti des qualités nécessaires pour l’affronter et par-dessus tout d’un remarquable sang-froid, simple et modeste, bon camarade, tout plein d’une admiration sans borne pour le créateur de ses appareils et d’une inaltérable confiance en lui, voilà quel était l’homme qui fit ses débuts de pilote, en février ou mars 1909, à Mourmelon, à bord de l’« Antoinette » IV. Son premier vol qui compte est du 17 avril : 1 500 mètres avec virage à 15 mètres d’altitude. Deux mois plus tard, le 23 juin, il effectuait ses derniers vols, au même endroit, avant de tenter cette traversée de la Manche qu’il visa dès ses débuts et en vue de laquelle il s’était tout spécialement préparé. Entre temps, il avait volé, au moins quatre fois, plus d’une demi-heure et, le 5 juin il avait tenu l’air 1 heure 7 min 37 s ce qui constituait, à cette date, le record français de la durée. Il s’était entraîné à voler dans le vent, sur la campagne et à descendre, moteur éteint, en vol plané. Le 2 juillet, l’« Antoinette » IV arrivait en gare de Calais. Il était aussitôt transporté à Sangatte où l’usine qui avait servi aux travaux d’études du projet de tunnel sous la Manche devait lui servir d’abri. On peut noter tout de suite que De LAMBERT qui venait de décider de tenter, lui aussi, la traversée aérienne France – Angleterre, avait fixé, le 28 juin, son choix sur Wissant, près de Boulogne-sur-Mer, pour y installer les hangars qui abriteraient ses WRIGHT.
BLÉRIOT avait en construction, au début de 1909, deux monoplans. L’un, le XI, constituait l’aboutissement de la série des numéros VIII de l’année précédente ; l’autre, le XII, était un monoplan à ailes surélevées. Le 31 mai, il tenta de renouveler, avec le XI, son voyage Toury – Artenay – Toury du 31 octobre précédent. Une panne l’en empêcha ; il parcourut pourtant 14 km sur la campagne. Du 8 au 15 juin, il vola, à Issy, avec le XII, emmenant à plusieurs reprises un passager puis deux dont SANTOS-DUMONT. Les 18, 21, 25 et 26 juin, il reprit le XI et vola, ce dernier jour, 36 min 55 s. Le 28, il volait à Douai, avec le XII, le 30, à Issy, avec le XI. Il retrouva le XII à Douai, les 2 et 3 juillet, et y parcourut 48 km en 47 min 17 s. Le lendemain 4, à Juvisy, près de Paris, il volait pendant 50 min 8 s à bord du XI. Enfin le 13, avec ce dernier, il s’attaquait au prix du voyage de l’Aéro-club de France et le remportait en se rendant de Mondésir, près d’Étampes, à Chevilly, non loin d’Orléans, soit 41,200 km qu’il parcourut en un temps brut de 55 min 50 s y compris une escale volontaire de 11 min 20 s entre le premier tiers et le milieu du trajet. Le 18 juillet, BLÉRIOT retournait à Douai où se tenait un meeting. Après deux minutes de vol à bord du XII, il fut assez cruellement brûlé aux pieds par l’eau bouillante jaillie du radiateur crevé. Le 19, sitôt connu l’échec de LATHAM, il s’engagea pour les prix afférents à la traversée de la Manche et expédia son XI à Calais où il arriva lui-même le 21. Nous le retrouverons tout à l’heure.
Henry FARMAN procédait, à Mourmelon, aux premiers essais de son premier appareil. Il eut tout de suite des clients : un Anglais, COCKBURN, un Français, SOMMER. Il était fort absorbé par ses tâches et préparait sa participation personnelle à la « Grande semaine de Champagne ». La traversée de la Manche resta en dehors de ses préoccupations. Cependant, le 19 juillet, le jour où LATHAM échouait dans sa première tentative, il tenait l’air, au camp de Châlons, durant 1 h 23 min avec son nouveau biplan. Il battait ainsi le temps du record français. La veille, Roger SOMMER avait effectué un vol de 1 h 4 min à bord de son propre appareil.
FARMAN et BLÉRIOT étaient des vétérans ; les débuts de LATHAM remontaient à plusieurs mois. En quelques jours, après ses premiers vols, vers la fin de juin, un nouveau pilote, Louis PAULHAN, se haussait jusqu’au niveau des vedettes. Ancien sapeur du génie sous les ordres de FERBER, ancien mécano du dirigeable de Henri DEUTSCH, « Ville de Paris », il était devenu, en 1909, fabricant d’aéroplanes – jouets. Il allait avoir 26 ans. Ayant gagné le premier prix dans un concours de modèles réduits, il se vit attribuer un aéroplane VOISIN moins le moteur. Il trouva un associé qui finança pour ce qui lui manquait et devint son manager. Quinze jours environ après ses débuts, à Douai, Louis PAULHAN volait plus de 2 km à 15 mètres de hauteur ; le 13, il parcourait 12 km en 15 minutes ; le 14, il tenait l’air pendant le même temps et s’évadait de l’aérodrome jusqu’au-dessus des faubourgs de la ville ; le 15, il volait pendant 1 h 7 min à une altitude de 30 mètres ; le 18, il atteignait 150 mètres, surpassant le record de W. WRIGHT, puis effectuait 57 minutes de vol ; le 19 enfin, il accomplissait le voyage Douai – Arras : 20 kilomètres en 22 minutes à 50 mètres de hauteur. Trois jours plus tard, il était à Vichy où, prenant son vol, le 22, après TISSANDIER, il permettait aux assistants de contempler ce spectacle réalisé pour la première fois : deux aéroplanes volant de conserve. Ayant pu prendre le départ un petit peu plus tôt, il eût été un très sérieux compétiteur pour cette première traversée aérienne de la Manche dont nous allons parler. Il fut, comme BLÉRIOT, en posture de la tenter.
Y songea-t-il et ne comprit-il pas l’extraordinaire importance qu’allait revêtir cet exploit ? Ou bien fut-il tenu par des engagements déjà pris, par les obligations qui le liaient à son manager ?…
Constants problèmes, jamais résolus, de cette « petite histoire » qui conditionne l’autre.
Donc, FARMAN et PAULHAN ne se mettant pas en ligne, CURTISS, qui avait volé pendant 31 puis 32 minutes, se trouvant en Amérique, TISSANDIER ayant cédé la place à son co-équipier De LAMBERT, il n’y avait, le 20 juillet, que BLÉRIOT qui, en dehors du dernier nommé, pouvait suppléer LATHAM. Que s’était-il passé jusqu’à cette date et comment allèrent les choses ?
L’appareil de LATHAM était prêt, sur place, le 11 juillet dans l’après-midi. Le 12, un vent violent empêcha tout essai. Le 13, LATHAM vola deux fois. Le deuxième vol se termina, après un quart d’heure, par un atterrissage un peu brutal dans lequel l’avant de l’appareil fut endommagé. Le 19, au matin, à 6 h 47, LATHAM prenait le départ, sur la falaise du cap Blanc-Nez. Le torpilleur HARPON, qui devait le convoyer, fonçait vers le large à son maximum de vitesse. À 10 kilomètres environ de la côte française, une panne de moteur contraignit le pilote à se poser sur la mer. Son monoplan flotta. Il fut rapidement recueilli mais, dans l’opération de sauvetage, l’appareil était sérieusement mis à mal. « Je recommencerai » déclara LATHAM en rentrant à Calais où la population l’acclama. Et déjà LEVAVASSEUR et lui se préoccupaient de hâter la préparation de l’ « Antoinette » VII à bord duquel aurait lieu la deuxième tentative. Elle fut faite huit jours plus tard, le 27, et cette fois encore LATHAM échoua ; tout près du but, à un mille de la côte anglaise. Dans l’intervalle, le 25, à bord de son XI BLÉRIOT avait traversé la Manche.
J’étais à Wissant depuis trois ou quatre jours. SURCOUF, directeur de la société « ASTRA » qui avait acquis une licence de fabrication des appareils WRIGHT en France et dont j’étais devenu l’un des ingénieurs, m’avait envoyé rejoindre De LAMBERT. C’était toute une histoire. Une autre firme « Les Chantiers de France », à Dunkerque, possédait également une licence de fabrication des WRIGHT. Deux aéroplanes, fournis concurremment par les deux maisons, étaient en montage dans les hangars de Wissant. J’étais chargé de surveiller l’achèvement du nôtre mais le plus délicat de ma mission consistait à obtenir du pilote qu’il l’utilisât pour sa tentative. Celle-ci semblait proche, en fin de semaine. Le dimanche 25, De LAMBERT s’était rendu en Angleterre pour choisir un terrain d’atterrissage. Le matin de ce jour-là, le vent soufflait fort, comme la veille au soir. Un garçon de l’hôtel où je logeais m’annonça :
« Monsieur BLÉRIOT est à Douvres.
– Monsieur De LAMBERT aussi, répondis-je.
– Non, non. Monsieur BLÉRIOT est passé en aéroplane ».
Je fus incrédule. La chose était impossible, par ce temps-là. Devant son insistance, je me renseignai et dus accepter le fait. Il était sept heures du matin.
Dans la nuit, une accalmie s’était produite. À Calais, à l’hôtel où dormait BLÉRIOT, ses compagnons veillaient. Avant le jour, les intéressés furent alertés et se hâtèrent vers les baraques où le départ devait avoir lieu. Dès l’aube, BLÉRIOT fut hissé dans l’appareil – il marchait avec les béquilles en raison des brûlures de Douai – puis accomplit un vol d’essai. Tout alla bien. Il se tint dès lors prêt à partir. LEBLANC, l’organisateur de l’affaire, un fanion à la main pour donner le signal, s’était rendu au bord de la falaise afin de surveiller le lever du soleil qu’il fallait attendre en raison du règlement du prix. Il accomplit bientôt le geste et ce fut l’envol. Le contre-torpilleur « l’Escopette », se trouva rapidement pris de vitesse. BLÉRIOT aborda la côte au nord de Douvres et fila vers Deal. Il reconnut vite son erreur et fit demi-tour. Le vent s’était levé, soufflant de terre. Toute tentative d’atterrissage sur la falaise était vaine ou risquée. BLÉRIOT dut se maintenir à l’abri de celle-ci, entre la mer et son sommet, jusqu’à ce qu’il ait trouvé la coupure de Douvres. Il s’y engagea, aperçut un drapeau qu’agitait, sur une pelouse, un journaliste français, se dirigea vers lui puis posa son appareil au sol, à ses côtés, dans un atterrissage difficile.
Ni De LAMBERT, ni LATHAM n’abandonnèrent leurs intentions. Il eût été tout à fait impressionnant que trois pilotes, à bord d’aéroplanes différents, réussissent, en moins de trois jours, le même exploit. De LAMBERT brisa l’un de ses appareils et renonça. C’était le 27 au matin. Le soir du même jour, LATHAM échouait, de peu, comme nous l’avons dit, pour la deuxième fois. La première liaison France – Angleterre restait, définitivement, l’apanage de BLÉRIOT. À partir de ce moment, même pour les plus sceptiques, et bien que cette performance sensationnelle restât, techniquement parlant, dans les limites du déjà acquis, tout parut devoir être possible à l’aviation.
Moins d’un mois plus tard s’ouvrait, sur un aérodrome spécialement aménagé dans la plaine de Bétheny, près de Reims, la « Grande semaine de Champagne » dont l’importance se trouve estompée, à distance, par l’exploit de BLÉRIOT mais qu’à l’époque elle surclassa.
Un comité local avait assumé la charge de son organisation, sous le contrôle sportif de l’Aéro-club de France ; il la remplit parfaitement. Une piste rectangulaire de 10 kilomètres (3,5 par 1,5) fut établie, limitée par des pylônes, et 35 à 40 hangars construits pour abriter les appareils. Gare provisoire, tribunes, pavillon de presse, vaste buffet, fils spéciaux avec Paris, Londres, Berlin, Bruxelles, liaisons rapides avec Reims, service de signalisations et d’informations, rien ne fut négligé et, les performances accomplies le justifiant, bien que le temps eût été assez mauvais dans l’ensemble, le succès fut très grand. Le président de la République, FALLIÈRES, et le président du Conseil, BRIAND, assistèrent, le 24 août, aux épreuves de la journée. On vola du dimanche 22 au dimanche 29.
Trente-cinq à quarante appareils étaient engagés que devaient conduire près de trente pilotes. La plupart d’entre eux purent voler et quatorze figurèrent au classement de diverses épreuves. Tous les records existants furent mis à mal.
Ceux de distance et de durée, propriétés de W. WRIGHT depuis le 31 décembre 1908, devinrent celles de PAULHAN, le 25 août, avec 133,676 km parcourus en 2 h 43 min 4 s, de LATHAM, le 26 août, pour la distance seule, avec 154,375 km parcourus en 2 h 18 min 9 s, de Henry FARMAN, enfin, le 27 août, avec 180 km parcourus en 3 h 2 min. Deux autres concurrents, De LAMBERT et TISSANDIER, avaient couvert 116 et 111 kilomètres.
Ceux de vitesse furent établis. Ils revinrent à CURTISS, sur 30 et 20 km, à BLÉRIOT sur 10 km, la distance étant comptée le long des poteaux. CURTISS parcourut les 30 km en 23 min 39 s 1/5 et les 20 km de la Coupe Gordon BENNETT, qu’il remporta, en 15 min 50 s 3/5. BLÉRIOT se classa second dans la Coupe en 15 min 56 s 1/5. Il était devenu détenteur du record des 10 km avec 7 min 47 s 4/5 alors que CURTISS n’avait pu faire mieux que 7 min 49 s 2/5. La plus grande vitesse horaire était donc voisine, vers cette époque, de 77 km à l’heure. LATHAM et LEFEBVRE s’étaient classés, à la suite des deux premiers, dans la Gordon BENNETT. Dans les autres épreuves de vitesse, LATHAM, LEFEBVRE, TISSANDIER, De LAMBERT, FARMAN et LEGAGNEUX avaient volé à plus de 60 km à l’heure. LEFEBVRE pilotait un WRIGHT sur lequel il avait appris à voler seul ; LEGAGNEUX était sur un VOISIN. Le prix des passagers revint à Henry FARMAN qui en emmena, sur 10 kilomètres, un puis deux. Enfin, le record de hauteur fut acquis à LATHAM qui atteignit 155 mètres. Derrière lui, venaient FARMAN avec 110 mètres, PAULHAN avec 90, ROUGIER avec 55, tous deux sur VOISIN.
Durant les quatre derniers mois de l’année, l’activité des aviateurs se développa, malgré le froid et la pluie, malgré le vent, dans les limites où le leur permit la vitesse de leurs appareils ; ils se déplacèrent, de meetings en exhibitions ; les records de distance, de durée et de hauteur furent largement améliorés. Bien que la plupart des parcours aériens fussent encore accomplis au-dessus des aérodromes et qu’un vol d’une heure, par exemple, qualifiât hautement son homme puisque, au premier janvier 1910, nous n’étions encore qu’une quinzaine de titulaires d’une telle performance, un courant se dessinait très nettement vers l’accomplissement de vols au-dessus de la campagne, de voyages, vers la voie logique où devait s’engager, le plus tôt possible, l’aviation. Les écoles d’apprentissage fonctionnaient à plein ; de nouveaux pilotes se manifestaient ; de nouveaux constructeurs entraient en lice, tant d’aéroplanes que de moteurs.
Ce fut au cours de cette période que les premiers accidents mortels de pilotes se produisirent. LEFEBVRE se tuait, à Juvisy, le 7 septembre en réceptionnant un WRIGHT. Le 22, FERBER périssait, à Boulogne-sur-Mer, dans des circonstances que nous avons déjà relatées. Le 6 novembre, à Nice, un Espagnol, FERNANDEZ, qui poursuivait la mise au point d’un appareil de sa construction, faisait une chute et mourait aussi.
Les principaux meetings eurent lieu à Brescia, à Juvisy, à Berlin, à Blackpool… De nombreux vols furent accomplis, dans un grand nombre de localités, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Amérique, en Belgique. On volait au Danemark, en Suède, en Autriche, en Russie, à Bucarest, à Constantinople, en Algérie, en Égypte. En décembre deux pilotes de formation récente, AUBRUN et BREGI, partaient en Argentine ; PAULHAN s’en allait en Amérique du Nord, avec plusieurs appareils.
Le 3 novembre, à Mourmelon, Henry FARMAN, concourrant pour la Coupe Michelin, parcourait 232 km en 4 h 17 min 53 s ce qui constituait de nouveaux records du monde qui ne devaient pas être battus en 1909. En hauteur, ROUGIER avait porté le record à 198 mètres à Brescia, en septembre, sur un VOISIN ; PAULHAN s’était élevé jusqu’à 230 et 275 mètres, à Brooklands, en Angleterre, les 30 octobre et 1er novembre. Le 19 de ce dernier mois, à Mourmelon, LATHAM atteignait 410 mètres.
On avait vu De LAMBERT, sur un WRIGHT, le 18 octobre, venir doubler la tour Eiffel, à 400 mètres d’altitude, depuis l’aérodrome de Juvisy où il retournait atterrir. 48 km environ, en 50 minutes. Le 20 novembre, PAULHAN, prenant possession d’un biplan Henry FARMAN, volait de Mourmelon à Châlons-sur-Marne et revenait normalement à son point de départ après 55 minutes. Jacques de LESSEPS, sur BLÉRIOT, effectuait deux tentatives infructueuses en vue du prix de « La Nature » (100 kilomètres en ligne droite) mais il parcourait néanmoins, le 30 décembre, 20 à 30 kilomètres sur la campagne. Ce même jour, en Angleterre, ROLLS volait plus de 70 kilomètres dans des conditions analogues, à bord d’un WRIGHT. Mais surtout, Maurice FARMAN, frère de Henry, après avoir terminé la mise au point d’un biplan dont la construction avait commencé en 1908, réalisait toute une série de vols d’entraînement autour de Buc et, d’un seul coup, s’en allait de ce dernier lieu à Chartres, le 9 décembre, soit : 70 kilomètres en 53 minutes. Le dernier jour de l’année, reprenant l’air vers Orléans, il atterrissait à proximité de cette ville, après un nouveau parcours de 70 kilomètres ayant compté une escale à VOVES.
L’année 1910 fut marquée, dès ses premiers jours, par un deuil qui provoqua une prouesse. Le 4 janvier, sur l’aérodrome de la Croix d’Hins, près de Bordeaux, Léon DELAGRANGE était victime d’un accident mortel. Trois jours plus tard, le 7, le jour où DELAGRANGE était porté en terre à Orléans, LATHAM, à Mourmelon, atteignait l’altitude de 1 000 mètres à bord de son monoplan « ANTOINETTE ». « Ne partez pas », m’avait-il dit, la veille, alors que je m’apprêtais à gagner Paris. Et, m’annonçant ce qu’il voulait tenter : « Nous devons tout faire pour que la triste fin de DELAGRANGE ne porte pas atteinte au crédit de l’aviation ». Le lendemain soir, j’emportais, à destination de l’Aéro-club de France, le baromètre enregistreur qui certifiait le succès.
Notons deux faits à l’actif du premier semestre de 1910 au cours duquel la liste des accidents mortels continua de s’allonger sans freiner l’enthousiasme. Le 28 mars, dans l’anse de la Mède, près de Martigues (Bouches-du-Rhône), un aéroplane, spécialement construit à cet effet par Henri FABRE, put prendre un plan d’eau comme aire de départ et réussir son envol. On vit apparaître, dans le ciel de France, les premiers éléments d’une aviation militaire dont les pilotes mirent très vite en évidence les possibilités.
À cette époque, les records duraient peu et changeaient souvent de titulaires. Au début d’août, celui de hauteur en était à 2 013 mètres au compte de DREXEL volant en Angleterre sur un BLÉRIOT. Après les 1 000 mètres de LATHAM, il avait appartenu à PAULHAN, volant à Los Angeles, avec 1 269 mètres, puis, derechef, à LATHAM montant, à Reims, à 1 384 mètres. TYCK et OLIESLAGERS avaient ensuite atteint, à Bruxelles, 1 700 et 1 720 mètres. CHAVEZ avait conduit son BLÉRIOT à 1 755 mètres à Blackpool et BROOKINS son WRIGHT jusqu’à 1 904 mètres, à Atlantic City, en Amérique. Les records de distance et de durée avaient été portés à 392 km et 5 h 3 min 5 s par OLIESLAGERS. Léon MORANE avait volé à 106 à l’heure sur 10 kilomètres. En une heure, LEBLANC avait couvert 80 km. AUBRUN et MAMET avaient fait parcourir, à un et deux passagers, 137 et 92 kilomètres. Tout cela sur les BLÉRIOT et principalement au cours de la deuxième « Grande semaine de Champagne ». Comme l’année précédente, cette manifestation avait tenu le premier rang entre toutes. On peut apprécier leur nombre et leur importance, en se référant au programme des meetings d’aviation, pour 1910, établi par la Fédération internationale aéronautique, au cours de sa réunion du 10 janvier à Paris, « à la suite d’une discussion longue et délicate étant donnés le nombre et la diversité des intérêts engagés », rapportait « l’Aérophile ». Nice, Berlin, Vérone, Budapest, Saint-Pétersbourg, Reims, Automobile-club, Belgique, Angleterre, Circuit de l’Est, Bordeaux, Milan, Amérique, telles étaient les têtes de chapitre. Le montant des prix annoncés atteignait plusieurs millions. D’autre part, dans chaque pays, des réunions plus modestes étaient encore organisées. Une première liste, établie à la même date pour la France, indiquait : Cannes, Tours, Bordeaux, Lyon, Vichy, Juvisy, Caen, Biarritz, Juvisy.
L’Aéro-club de France avait bien institué, au début de 1909, un brevet de pilote – aviateur mais la plupart de ceux qui volaient et n’appartenaient pas au club se souciaient assez peu de ce titre. Il n’y avait pas 20 titulaires, en octobre 1909, et leur liste pouvait prêter à discussion. Mais, à dater du premier janvier 1910, sa possession devint nécessaire pour l’exécution de tout vol public et les épreuves qu’elle imposait auraient classé au premier rang, un an plus tôt, ceux qui pouvaient y satisfaire. Malgré cela, 150 brevets environ étaient délivrés dès le milieu de 1910 et leur nombre allait continuer de croître rapidement. Il n’est plus possible, et ce serait sans intérêt, de suivre à la trace, dès le début de cette année, chacun de ceux qui volaient. Par contre, il faut parler un peu des voyages ou, plus généralement, des vols en dehors des aérodromes. Petit à petit, leur pratique, déjà réelle en 1909, entrait dans les habitudes et, même au cours de meetings, des prix spéciaux les provoquaient. Nous donnons une énumération rapide des plus importants de ceux qui furent réalisés avant le Circuit de l’Est avec lequel nous conclurons.
À Los Angeles, les 13 et 15 janvier, PAULHAN volait, chaque jour, une soixantaine de kilomètres au large de l’aérodrome.
Le 2 mars, le lieutenant CAMERMANN qui venait de débuter chez Henry FARMAN, à Mourmelon, s’évadait de son terrain de départ pendant que VAN DEN BORN allait déjeuner à Reims puis rentrait.
Entre le 3 et 17 mars, à Monaco, ROUGIER, pilotant un biplan VOISIN, accomplissait une dizaine de fois l’exploit, extraordinaire pour l’époque, de partir d’un quai d’environ 40 mètres de largeur dont l’extrémité surplombait la baie et d’y revenir atterrir chaque fois avec précision, après des vols au-dessus de la mer et de la campagne environnante, dont l’un dépassa 28 minutes en durée et 800 mètres en altitude.
Le mois suivant, à Cannes et à Nice, différentes croisières maritimes comportant des trajets aller et retour allant jusqu’à 38 km, furent accomplies par huit aviateurs différents.
Le 3 avril, Émile DUBONNET, déjà connu comme aéronaute, s’attaquait au prix de « La Nature » et le gagnait en conduisant son monoplan TELLIER de Juvisy à La Ferté Saint-Aubin, en Sologne, soit 109 kilomètres. Le voyage, qui comporta un atterrissage volontaire, fut sans histoire ; il avait duré 1 h 50 min et constituait alors le record dans sa catégorie.
Deux semaines plus tard, FARMAN et PAULHAN qui visaient le gros prix de 250 000 francs offert par le « Daily Mail » pour un parcours Londres – Manchester, entreprenaient pendant trois jours, et l’un après l’autre, des voyages dont on peut résumer comme suit le développement. Le 17 avril, Henry FARMAN, accompagné du reporter-photographe CAUDRELIER, se rendait des environs d’Étampes à Chevilly, non loin d’Orléans, soit environ 45 km. Le 18, PAULHAN prenait l’appareil et, seul à bord, le conduisait jusqu’à proximité d’Arcis-sur-Aube, à environ 175 km de son point de départ. Le lendemain, il reprenait son vol et atterrissait au Champ de Châlons après un parcours de 68 km. Cela faisait 286 km en trois étapes et en 5 h 35 min de vol effectif.
PAULHAN n’était pas le seul à convoiter les 10 000 livres sterling du « Daily Mail ». Le 24 avril, l’anglais Grahame WHITE, qui disposait aussi d’un « Henry FARMAN », tentait sa chance dans cette épreuve. Il dut s’arrêter le soir, après avoir parcouru 188 km, et camper. On avait 24 heures pour aboutir. Le vent, devenu violent, endommagea l’appareil resté en plein air pendant la nuit. WHITE et PAULHAN, qui s’était hâté d’arriver, reprirent le départ, presque ensemble, le 27. Après des péripéties émotionnantes, l’épreuve était remportée par PAULHAN. Grahame WHITE avait, de nouveau, effectué les deux tiers du parcours.
Le classement fut identique, un peu plus tard, entre les deux mêmes pilotes, lorsqu’il fallut liquider une autre compétition ouverte également par le « Daily Mail ». Il s’agissait d’un prix attribué, le 15 août 1910, à celui des concurrents qui aurait totalisé le plus grand nombre de kilomètres au-dessus de la campagne depuis le 15 août 1909. PAULHAN en avait parcouru près de 1 300, WHITE plus de 1 100 ; AUBRUN, LEBLANC et LATHAM venaient ensuite.
Les 16 et 20 mai, SOMMER effectuait les parcours Nouzon – Charleville – Nouzon et Sedan – Verdun – Sedan, 80 et 160 km. Le 23, un jeune pilote, MARTINET, qui ambitionnait de joindre Paris en partant du Camp de Châlons, s’arrêtait à Neufmoutiers à 140 km de son point de départ. Les 21 et 24, Maurice FARMAN volait de Buc à Étampes, 49 km, puis d’Étampes à Toury, 30 km. Le 28, CURTISS se rendait d’Albany à New York, avec une escale, soit 220 km. Le 30, LEBLANC volait de Toury à Chartres. Le 21 de ce mois, Jacques De LESSEPS, rééditant l’exploit de BLÉRIOT, avait traversé la Manche.
Le 2 juin, ROLLS, sur un WRIGHT, partait de Douvres, virait à Calais et rentrait à Douvres. Le 6, MARTINET gagnait la course Angers – Saumur devant LEGAGNEUX et DICKSON. Le 8, Léon MORANE allait d’Issy à Étampes puis d’Étampes à Toury, au total 93 km. Le 9, deux officiers aviateurs, le lieutenant FÉQUANT et le capitaine MARCONNET, couvraient ensemble, d’un seul vol, les 145 km séparant le camp de Châlons de Vincennes. En Amérique, HAMILTON, le 12 juin, évoluait pendant une heure au-dessus de la baie de New York ; le 13, il effectuait, avec escales, le voyage New York – Philadelphie – New York, dans la même journée, ce qui représentait près de 300 kilomètres.
Le 12 juillet, le lieutenant FÉQUANT se rendait de Vincennes à Issy. Le 13, CHAMPEL allait de Juvisy à Sartrouville en traversant Paris. Le lendemain, BUSSON, partant également de Juvisy et survolant la capitale, virait à Bagatelle puis rejoignait son lieu d’envol. En Amérique, à Atlantic City, CURTISS avait volé, le 13, pendant 1 h 15 min au-dessus de la mer. Un Russe traversait, le 17 juillet, le golfe d’Odessa. Un Anglais, LORAINE, le 19, accomplissait le parcours île de Wight – Bournemouth et retour. Le 20, De BAEDER volait de Lille à Douai. Le 25, Jacques De LESSEPS, au Canada, parcourait 65 kilomètres sur la campagne. Le 28, Grahame WHITE survolait, par deux fois, la flotte de guerre anglaise. Le 30, CHATEAU, atterrissait à Toussus-le-Noble venant de Draveil puis y retournait un peu plus tard, soit 45 km. Le 31 enfin, FISCHER volait au-dessus de Marseille et de ses environs, durant 25 minutes, cependant que FOREST, partant d’Avranches, allait doubler le Mont-Saint-Michel.
Beaucoup craignaient que le Circuit de l’Est soit une entreprise trop audacieuse et que son échec risque de discréditer l’aviation. Malgré le nombre assez réduit des concurrents effectifs et celui, plus réduit encore, des arrivants, l’épreuve connut une réussite complète. Organisé par un grand quotidien d’alors, doté d’un premier prix de cent mille francs, il avait pour objet de couvrir, du 7 au 17 août, les six étapes Paris – Troyes, Troyes – Nancy, Nancy – Mézières, Mézières – Douai, Douai – Amiens, Amiens – Paris, à raison d’une étape tous les deux jours. Les départs pouvaient avoir lieu de 5 heures du matin à 5 h 30 du soir, dans l’ordre du tirage au sort pour la première étape, dans l’ordre d’arrivée pour les autres. Des meetings régionaux agrémentaient les jours de repos dans les villes d’étapes.
Le 7 août, à Issy-les-Moulineaux, douze concurrents coupèrent, en vol, la ligne de départ dans les délais prévus mais huit seulement partirent en direction de Troyes. BUSSON et BREGI ne terminèrent pas l’étape. Les six autres furent classés dans l’ordre suivant : LEBLANC, AUBRUN, LINDPAINTNER, LEGAGNEUX, WEYMANN, MAMET. Les deux premiers de Paris – Troyes restèrent seuls en course jusqu’au bout et terminèrent l’épreuve dans le même ordre. LEBLANC gagna toutes les étapes sauf une, Mézières – Douai, qui revint à AUBRUN. LEGAGNEUX, mais hors de course pour n’avoir pu prendre le départ dans les délais prévus, à Nancy, quitta cette ville le lendemain, après avoir changé son moteur, et boucla le circuit complet. Ce n’est pas abuser des mots que d’écrire, en parlant de l’arrivée à Paris, qu’elle fut triomphale. Un nombre considérable de spectateurs enthousiastes étaient là : plusieurs centaines de milliers, sans doute. Le ministre de la guerre et plusieurs généraux se trouvaient sur le terrain.
Pendant que se déroulait la course ci-dessus, d’autres vols au-dessus de la campagne étaient effectués dont quelques-uns en Angleterre et en Allemagne. En France, LATHAM accomplissait deux fois le trajet Mourmelon – Issy, dont une fois sans escale, puis se rendait, en vol, d’Issy à Dreux, de Chartres au Havre et de Paris à Montdidier. John MOISANT, sur un « BLÉRIOT », venait d’Étampes à Issy, avec un passager, après quoi il volait jusqu’à Londres avec son mécanicien. Mais les randonnées les plus remarquables furent accomplies par un groupe important de pilotes militaires. Une quinzaine d’entre eux, soit seuls, soit deux à bord, effectuèrent les parcours suivants sur différents types d’appareils : Caen – Vincennes, Villecoublay – Troyes, Mourmelon – Nancy, Nancy – Lunéville – Nancy, Nancy – frontière et retour, Nancy – Mézières, Nancy – Mourmelon, Douzy – Mézières, Mézières – Bazeilles et retour, Mézières – Amiens, Mourmelon – Mézières, Mourmelon – Laon, Mourmelon – La Fère – Amiens, Douai – Arras – Amiens, Amiens – Paris. Ces derniers vols démontraient la vitalité qu’avait acquise, en peu de temps, la jeune aviation militaire française.
Avec tous ceux que nous avons d’abord rapportés et qui illustrèrent les sept premiers mois de l’année 1910, avec ceux accomplis pour le Circuit de l’Est et qu’ils encadrèrent, ces vols démontraient, jusqu’à l’évidence, que la période des grands voyages aériens allait commencer. Elle préluderait à celle de l’utilisation pratique de l’aéroplane comme engin de guerre et comme appareil de transport – après que son nom aurait été muté en celui d’avion – jusqu’à ce qu’il devienne ce que nous le voyons aujourd’hui : le maître incontesté de l’espace terrestre.
FIN
Octobre 1968 Edouard Chateau