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Farman, Delagrange, Blériot , Chateau …

Durant les cinq derniers mois de l’année 1908, les meilleures parmi les performances, autres que celles des WRIGHT, furent encore accomplies par Henry FARMAN, DELAGRANGE et BLÉRIOT. Avant de les rapporter, disons quelques mots d’autres pilotes qui volèrent à cette époque : WELFERINGER et CHATEAU, que nous avons déjà rencontrés ; un autre Français, René GASNIER ; un Anglais, CODY ; un Allemand, GRADE ; tous trois constructeurs de leurs appareils ; et puis trois clients des frères VOISIN, Moore BRABAZON, Anglais, de CATERS, Belge, et le Français ZIPFEL.

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Biplan Gasnier 1908

Le biplan René GASNIER, apparenté au VOISIN, eut pour le moins le mérite d’exister et de démontrer, en août-septembre, à Rochefort-sur-Loire, entre les mains de son constructeur, jeune Angevin, riche, de 34 ans, membre de l’Aéro-club de France, pilote de ballons libres depuis 1905, qu’il était capable de quitter le sol. Les 17 août, 9, 12 et 17 septembre, il effectua quelques envolées. Au dire des journaux de l’époque, la dernière se serait prolongée jusqu’à atteindre 500 mètres. L’appareil fut détruit à l’atterrissage et la carrière de constructeur de René GASNIER en resta là.

Personne, jusqu’en 1908, ni en Allemagne ni en Angleterre, n’avait su tirer parti des héritages qu’avaient laissés LILIENTHAL et PILCHER dans leurs pays respectifs. Cette année-là, sous la poussée des évènements, le Gouvernement anglais commandita CODY, Américain du Texas implanté en Grande-Bretagne et rendu célèbre par ses cerfs-volants, pour qu’il étudie et construise un aéroplane. Ce fut un biplan pour lequel l’auteur s’inspira largement des résultats déjà acquis. Mû par deux hélices entraînées par des chaînes à la manière des WRIGHT, prenant son départ comme les monoplans REP, il n’innovait rien d’essentiel. Il fut entièrement détruit dès son premier vol, le 15 octobre, au camp d’Aldershot. C’était, fut-il dit, son premier essai décisif après plusieurs semaines d’évolutions au sol et il aurait parcouru environ 500 mètres. CODY persévéra comme constructeur et comme pilote. Ses succès furent assez nombreux. Il fit une chute mortelle en 1913.

Le 2 novembre, à Magdebourg, un jeune technicien allemand, Hans GRADE, volait, pour la première fois sur son sol natal, avec un aéroplane qu’il avait étudié et construit. Le vol fut assez bref, une cinquantaine de mètres, et son issue fâcheuse car l’appareil fut brisé, sans dommage toutefois pour le pilote. C’était un triplan en bambou, mû par un moteur de 35 CV placé à l’avant du plan moyen et actionnant, en prise directe, une hélice tractive. Le pilote était derrière le moteur, assis un peu au-dessous du plan médian. Premier pilote et constructeur allemand, il poursuivit sa carrière ; il n’avait rien apporté d’original à l’aviation, lors de sa première contribution.

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Goupy 1908

Pour un client riche, Ambroise GOUPY, qui s’intéressait à l’aviation et créa, en 1909, une usine d’où sortirent, durant plusieurs années, de bons appareils, les frères VOISIN construisirent un triplan dont l’envergure fut progressivement réduite jusqu’à 6,50 m pour une surface totale de 30 à 40 mètres carrés. Gabriel VOISIN procéda lui-même aux essais de cet appareil. Il ne réussit, en septembre et en décembre, que quelques très courts décollages, à Issy-les-Moulineaux, et il n’insista pas. Simultanément, deux triplans semblables avaient été établis pour deux autres clients, Moore BRABAZON et de CATERS. Il advint d’eux comme du premier et les deux clients susnommés se rendirent acquéreurs, chacun, d’un biplan cellulaire VOISIN de série avec lesquels ils commencèrent, l’un et l’autre, en fin d’année, une jolie carrière de pilote.

Armand ZIPFEL, Français, peut être considéré, lui aussi, comme un client des frères VOISIN. C’était un de leurs camarades d’enfance auquel ils concédèrent une licence de construction de leurs appareils. ZIPFEL fondait alors, à Lyon, les « Ateliers d’aviation du Sud-est » dont la durée fut éphémère. Il avait déjà, en novembre, réalisé la fabrication d’un biplan cellulaire à bord duquel il accomplit, avant que l’année soit écoulée, une demi-douzaine de vols de plusieurs centaines de mètres.

À la suite des résultats satisfaisants obtenus avec le « GASTAMBIDE-MENGIN » et en raison de l’évolution des évènements, la société « Antoinette » avait mis en fabrication, comme nous l’avons déjà dit, un nouvel appareil, l’« Antoinette » IV qui fut bientôt suivi d’un « Antoinette » V ayant la même allure générale et les mêmes dimensions d’ensemble. Destinés à Hubert LATHAM et René DEMANEST, ces deux aéroplanes furent pilotés, pour leur mise au point, par WELFERINGER et ce jusqu’en février 1909, les derniers vols étant effectués à Mourmelon. En octobre, novembre et décembre 1908, il accomplit, à Issy-les-Moulineaux, avec chacun d’eux, une demi-douzaine de vols sur des parcours allant jusqu’au kilomètre.

Chez Robert ESNAULT-PELTERIE, le monoplan 2 bis, succédant au 2 expérimenté en juin, fut achevé en octobre en l’usine de Billancourt, transporté à Buc et monté dans le hangar avoisinant l’étang du Trou-Salé. Les essais m’en furent confiés.
Le poids, en ordre de vol, était d’environ 400 kg. Les ailes couvrant à peu près 16 mètres carrés, leur charge par unité était ainsi voisine de 25 kg. La puissance réelle du moteur ne dépassait pas 25 CV. L’hélice métallique, montée directement sur le vilebrequin, était à quatre pales. Elle avait été établie par nous.

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E. Chateau Rep 2 bis Grand Prix 200 m

J’étais tenu, pour mon apprentissage, à la plus grande prudence car c’était, à coup sûr, me voir retirer les leviers des mains que de casser. Je m’astreignis, durant près d’un mois, à des sorties journalières au cours desquelles j’évoluais sur le terrain en monocycle, en position de vol, sans quitter le sol, quel que soit le temps. Et puis, sûr de moi, je décollai l’appareil pour de courtes durées et m’entraînai à l’atterrissage. REP ne me pressait pas d’aboutir et me questionnait peu. Je ne l’avais pas encore informé de mes vols, lorsqu’il survint un jour, à l’improviste, alors que j’en effectuais un. Il nous fit inscrire tous deux, à l’Aéro-club de France, en vue de disputer, le 21 novembre, le troisième prix des deux cents mètres qui restait à gagner. Le vent soufflant un peu ce jour-là, il me laissa le soin de piloter et je n’eus aucun mal à me faire attribuer le prix en parcourant 316 mètres. J’accomplis ensuite, dans la journée, quelques envolées semblables à la demande des journalistes sportifs venus de Paris. Je dus en rester là. L’appareil fut ramené immédiatement à l’usine d’où il ne sortit que pour être exposé au Salon de cette fin d’année. Quant à moi, je cessai, volontairement, non sans regret, le 15 janvier suivant, une collaboration vieille de plus de trois ans et j’entrai au service de la Société ASTRA où je m’occupai du démarrage de l’affaire WRIGHT en France. Mais ce fut seulement en septembre, et chez VOISIN, que je pus recommencer à piloter.

Les vols dont nous venons de parler comptaient peu pour le public. Ils étaient éclipsés par les exploits des WRIGHT. Cependant certains succès remportés par DELAGRANGE et mieux encore par BLÉRIOT et Henry FARMAN démontrèrent vite que l’aviation ne serait monopolisée par personne.

Son déplacement en Italie terminé, DELAGRANGE avait recommencé ses vols à Issy-les-Moulineaux le 3 septembre. Il se fiait entièrement aux frères VOISIN quant aux aménagements de son appareil et aux modifications à lui apporter. L’aéroplane de DELAGRANGE devint le premier modèle de la longue série des biplans cellulaires VOISIN dont les qualités ajoutèrent encore à la célébrité, déjà acquise, de leurs constructeurs.

Jusqu’à la fin de novembre, Léon DELAGRANGE exécuta de nombreux vols, tant à Issy qu’à l’aérodrome de Juvisy dans la grande banlieue de Paris. Les plus longs atteignirent la demi-heure.

BLÉRIOT, toujours en veine de tâtonnements et de transformations, poursuivait ses travaux en même temps que son entraînement de pilote. Cependant, parmi les vols qu’il accomplit à Issy jusqu’au 9 octobre, aucun n’atteignit à nouveau les 8 minutes du 6 juillet. Il allait faire mieux ailleurs.

Le maire de Toury, en Beauce, sur la route d’Étampes à Orléans, avait mis à sa disposition un terrain de 15 hectares. Le 21 octobre, BLÉRIOT s’y trouvait, en état de prendre son vol. Malgré un vent assez violent, il essayait de se faire attribuer un prix de 2 500 francs pour 25 mètres en altitude ; il n’en atteignit qu’une vingtaine, au cours d’un vol d’environ 7 km en 6 min 40. Le lendemain, alors qu’il renouvelait sa tentative, une panne de moteur le contraignit à l’atterrissage au bout de 500 mètres.

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Blériot sur le 8 bis octobre 1908 ( Bnf )

Le coin de Beauce où il se trouvait était particulièrement propice aux premiers essais de voyages aériens. BLÉRIOT y avait sans doute songé, en s’y installant. Le 31 octobre, il laissait derrière lui son aérodrome et filait vers Artenay à 14 kilomètres au sud. Il y faisait demi-tour et revenait à son point de départ, ayant accompli au-dessus de la campagne un vol d’à peu près 28 kilomètres. Il avait dû faire deux escales, par suite de pannes. La démonstration n’en paraissait que plus probante. Une telle chose était hors de portée pour les frères WRIGHT en raison du mode de départ qu’ils utilisaient. « L’école française », comme se plaisaient à dire les journalistes, marquait un point et l’exploit de BLÉRIOT causait une forte impression au milieu des triomphales envolées d’Auvours. Il n’était pourtant que la réédition d’une performance du même ordre accomplie la veille, par Henry FARMAN, dans des conditions qui la faisaient paraître plus hardie encore.

Ce dernier s’était installé au Camp de Châlons. Un hangar, édifié en bordure de la route de Mourmelon-le-Grand à Bouy, abritait son appareil aménagé en type cellulaire par les soins de Gabriel VOISIN qui s’était rendu sur place et collaborait à la mise au point de l’aéroplane au cours des premiers essais d’entraînement commencés le 26 septembre.

Henry FARMAN s’était engagé en vue de concourir pour la Coupe Michelin, le prix de la Commission d’aviation de l’Aéro-club de France, épreuves de distance, et le prix de hauteur qui, mis en compétition par ce dernier, avait pour objectif de dépasser 25 mètres. Wilbur WRIGHT était devenu leur détenteur provisoire, le 28 septembre, en couvrant d’un seul vol 48,128 km en 1 h 7 min 24 s. FARMAN se mit en piste, le 29, pour tenter de faire mieux. Tournant, à une dizaine de mètres de hauteur, autour d’une piste triangulaire de 3 km de développement, il en accomplit quatorze fois le tour, soit 42 kilomètres, en 43 minutes. Il fit moins bien le lendemain, un défaut de graissage du moteur interrompant son vol après qu’il eut parcouru 34 km en 35 min 36 s. Malgré son échec, il ne s’en trouvait pas moins ainsi placé, à cette date, sur le même plan que son heureux rival. Il confirma ces performances en volant 40 km le 2 octobre et 16 km le 20 puis, ce dernier jour, 5 km avec Paul PAINLEVÉ comme passager.

Le 30 du même mois, il entra dans une autre voie. Prenant son vol de l’aérodrome de Bouy, il mit le cap sur Reims, distant de 27 kilomètres, et, survolant la campagne à quelques dizaines de mètres d’altitude, il atterrit normalement, 28 minutes après son envol, sur le champ de manœuvres situé aux portes de la ville. C’était là le premier voyage aérien s’inscrivant au crédit de l’aviation. À peine connu, cet exploit, dont l’effet sur le public fut considérable, était, comme nous l’avons vu, renouvelé par BLÉRIOT. Il restait le prix de hauteur. FARMAN se le fit attribuer, le 21 octobre, en commun avec Wilbur WRIGHT, en survolant facilement des ballonnets maintenus captifs à 25 m.

Il rompit ensuite ses attaches avec VOISIN et se mit à préparer sa carrière de constructeur. Cet évènement était prévu. Dans une note qu’il avait fait présenter à l’Académie des Sciences dans sa séance du 20 janvier 1908, Henry FARMAN, relatant les résultats qu’il venait d’obtenir, s’en attribuait peut-être un peu trop exclusivement le mérite. Il accordait bien aux frères VOISIN le satisfecit suivant : « … ont construit mon appareil, ont certainement droit à une grande part de mes succès, car c’est grâce à leur compétence dans la matière, à leur activité et à leur intelligence que je suis arrivé au résultat… » ; mais, si élogieux qu’il soit, il ne rendait pas exactement compte, à mon avis, de la situation à l’époque. Le ton général de la note laissait en tout cas présager que Henry FARMAN entendait voler bientôt sur ses propres ailes. Maintenant, sa décision était prise.  >> Suite

Octobre 1968 Edouard Chateau